Définition

Rappelons pour commencer que le polynôme X3-2 de ℚ[X] possède une racine dans $\mathbb{Q}\left ( \sqrt[3]{2} \right )$ mais n'y est pas scindé. Plus généralement un corps de rupture d'un polynôme n'est pas forcément un corps de décomposition de ce polynôme.

On dit qu'une extension algébrique L/K est 'normale' si tout polynôme de K[X] qui possède une racine dans L y est scindé.

Exemples

Les extensions $\mathbb{Q}\left ( \sqrt[n]{2} \right )/\mathbb{Q}$ pour n≥3 ne sont donc pas normales mais $\mathbb{Q}\left ( \sqrt[3]{2},j \right )/\mathbb{Q}$ l'est (revoir cet exemple).

Toute clôture algébrique d'un corps est normale puisque tout polynôme y est scindé.

Caractérisations dans le cas fini

Théorème principal :

Soit L/K une extension. Les propriétés suivantes sont équivalentes :
  1. L/K est finie et normale
  2. L est le corps de décomposition d'un polynôme à coefficients dans K.

Soit L/K une extension finie et normale et soit (a1,...,an) une base de L en tant que K-espace vectoriel. Soit Pi le polynôme minimal de ai sur K. Posons maintenant $Q=\prod_{i=1}^{n}P_i$ alors comme L/K est normale chaque Pi est scindé sur L, donc Q est également scindé. Comme L est engendré sur K par des racines de Q, L est un corps de décomposition de Q.

Soit maintenant L le corps de décomposition d'un polynôme Q∈K[X]. C'est une extension finie de K. Soit P∈K[X] un polynôme irréductible qui a une racine a1 dans L. Soit M/L un corps de décomposition de P et soit a2 une racine de P dans M. Il suffit de montrer que a2∈L, cela entraînera que toutes les racines de P dans M sont en fait dans L, donc que P est déjà scindé dans L.

Or pour chaque i∈{1,2} L(ai) est un corps de décomposition de Q sur K(ai). D'autre part chaque K(ai) est un corps de rupture de P sur K, donc il existe un K-isomorphisme σ: K(a1)↔K(a2) d'après ce théorème. Les extensions $K(a_1)\hookrightarrow L(a_1)=L$ et $K(a_1) \overset{\sigma }{\leftrightarrow}K(a_2)\hookrightarrow L(a_2)$ sont alors des corps de décomposition de Q sur K(a1). Elles sont donc K(a1)-isomorphes d'après ce théorème.

On en déduit que [L:K(x1)]=[L(a2):K(x1)] donc que L=L(a2) donc que a2∈L.

Le résultat précédent admet pour corollaire :
Si M/K est une extension normale et finie et si L/K est une extension intermédiaire de M/K alors M/L est normale (et bien entendu finie).

Cependant dans la situation précédente il se peut que L/K ne soit pas normale. Voici un contre-exemple $ \mathbb{Q} \subset \mathbb{Q}\left ( \sqrt[3]{2} \right )\subset \mathbb{Q}\left ( \sqrt[3]{2},j \right )$.

De plus la notion n'est pas transitive :
Il se peut que L/K soit normale, que M/L soit également normale sans que M/K le soit.
Prendre par exemple $\mathbb{Q}\subset \mathbb{Q}\left ( \sqrt{2} \right )\subset \mathbb{Q}\left ( \sqrt[4]{2} \right )$.

Nous avons également comme autre conséquence :

Soit L/K une extension finie et soit Ω un corps algébriquement clos contenant K.

L/K est normale si et seulement si tous les K-morphismes de L dans Ω ont la même image.

En particulier si Ω est un corps algébriquement clos contenant L, l'extension finie L/K est normale si et seulement si tous les K-morphismes de L dans Ω sont d'image L.

D'après le théorème précédent si L/K est normale L est le corps de décomposition d'un polynôme Q∈K[X]. Pour tout K-morphisme σL→Ω l'image de L par σ est l'extension de K engendrée par les racines de Q dans Ω, donc ne dépend pas de σ.

Supposons inversement que tous les K-morphismes de L dans ω aient la même image L'. Soit P un polynôme irréductible de K[X] avec une racine a∈L et soit b une racine de P dans Ω.Les corps K(a)⊆L et K(b)⊆Ω sont des corps de rupture de P. En tant que tels ils sont K-isomorphes (revoir ce résultat). On en déduit un K-isomorphisme K(a)↔K(b) ⊆ Ω qui peut s'étendre par ce lemme en un K-morphisme de L→Ω dont l'image est L'. On en déduit que b est dans L'. Le polynôme P est donc scindé dans L' donc dans L puisque ces extensions sont isomorphes. L/K est donc normale.

Et nous avons comme nouveau corollaire :

Soient L/K et M/L des extensions finies. On suppose M/K normale. Dans ces conditions : L/K est normale si et seulement si pour tout K-automorphisme σ de M, on a σ(L)=L.

Soit Ω un corps algébriquement clos contenant M.

D'après ce lemme tout K-morphisme de L dans Ω se prolonge à M. Et puisque M/K est normale, en vertu du résultat précédent il induit un K-automorphisme de M.

Réciproquement tout K-automorphisme σ de M, induit un K-morphisme de L dans Ω. Par le corollaire précédent, l'extension L/K est normale si et seulement si tous les σ(L) sont égaux à L.

Et voici encore un nouveau corollaire (extension):

Soit L/K une extension finie et normale. Tout automorphisme du corps K se prolonge en un automorphisme du corps L.
Soit σ un automorphisme de K, et soit Ω une extension algébriquement close de L (revoir ce théorème). σ fournit donc un K-morphisme de K dans Ω. Toujours par le même lemme σ se prolonge à L. En vertu du corollaire précédent, l'image de ce prolongement $ L \hookrightarrow \Omega $ est L. On obtient ainsi un automorphisme de L qui prolonge σ.
Soit L/K une extension finie et soit Ω un corps algébriquement clos contenant L. Il existe ne plus petite extension M/L telle que M/K soit normale.

Soit (a1,a2,...an) une base du K-espace vectoriel L.

Soit pour chaque i 1≤i≤n Pi le polynôme minimal de ai sur K.

On pose $ Q=\prod_{i=1}^{n}P_i $ .

Soit M le sous-corps de Ω engendré par les racines de Q. C'est un corps de décomposition de Q.

Donc M/K est finie et normale.

De plus pour tout corps $L\subseteq M'\subseteq \Omega $ telle que M'/K soit normale, le polynôme irréductible Pi à une racine dans M', à savoir ai.

Donc Pi est scindé dans M', donc aussi Q.

On en déduit que M, qui est engendré par les racines de Q est contenu dans M'.
L'extension M telle que ci-dessus, s'appelle la 'clôture normale' de L dans K. Elle est finie.

Lemmes techniques (cas fini encore).

lemme 1

Supposons que L/K soit une extension normale finie et α et β des zéros dans L du polynôme irréductible p. Alors il existe un K-automorphisme σ de L tel que σ(α)=β.
Par la caractérisation des extensions algébriques simples, il existe un K-automorphisme de K(α) sur K(β). Par ce résultat cet automorphisme s'étend à L.

Les résultats qui suivent seront utiles pour la démonstration du théorème fondamental de la théorie de Galois.

lemme 2

Soit une série d'extensions K $\hookrightarrow$ L $\hookrightarrow$ N $\hookrightarrow$ M où L/K est finie et N est une clôture normale de L/K au sens précédent. On suppose que σ : L → M est un K monomorphime. Dans ces conditions σ(L)⊆N.
Soit α∈L et soit m son polynôme minimal sur K. Alors m(σ(α))=σ(m(α))=σ(0)=0. σ(α) est donc un zéro de m et se trouve donc dans N puisque N/K est normale.

lemme 3

L/K étant une extension finie, les 3 propriétés suivantes sont équivalentes :
  1. L/K est normale.
  2. Pour toute extension normale M de K contenant L, tout K-monomorphisme σ L → M est un K-automorphisme de L.
  3. Il existe une extension normale N de K contenant L, telle que tout K-monomorphisme σ : L →M soit un K-automorphisme de L.

1. ⇒ 2. Si L/K est normale alors L est une clôture normale de L/K. Ainsi en vertu du résultat précédent σ(L) ⊆ L. Mais σ est une application K-linéaire définie sur l'espace vectoriel L de dimension finie sur K est est injective de sorte que σ(L) à la même dimension que L et est donc égal à L. σ est donc un automorphisme de L.

2. ⇒ 3. Soit N une clôture normale de L/K. N possède les propriétés requises pour 3.

3.⇒ 1. Soit f un polynôme irréductible sur K avec un zéro α ∈ L. Alors par normalité f se décompose sur N et si β est un zéro quelconque de f dans N il existe un automorphisme σ de N tel que σ(α)=β ∈ σ(L)=L. f se décompose donc sur L et L/K est normale.

Caractérisations dans le cas général

En ce qui concerne le théorème principal, la même démonstration permet d'établir que :
Les extensions normales (finies ou non) d'un corps K, sont les corps de décomposition d'une famille (Qi)i∈I de polynômes à coefficients dans K.

Cela étant acquis, tous les corollaires de la section précédente restent valables avec les même démonstrations.